Entretien avec Luc Moreau – Glaciologue – Partenaire et ami d’Enlaps

 

La nouvelle caméra Tikee recemment installée connectée nous permet de suivre le glacier de la Combe Maudite:

Un lieu d’installation unique !

Luc Moreau, glaciologue associé au Laboratoire Edytem CNRS, et passionné depuis toujours par le mouvement naturel des glaciers, a choisi un spot incroyable pour installer une de ses caméras Tikee.

Glacier Combe Maudite

Luc Moreau lors de la pose de la caméra connectée Tikee

 

Un piton rocheux, en surplomb de la « Combe Maudite », lieu sauvage, véritable « impasse » dans laquelle s’écoule en cascade de séracs le trop plein de glace du fameux Mont Maudit. Cette combe alimente ensuite une grande partie du glacier des Bossons qui s’écoule sous l’effet de son poids et de la pente vers la vallée de Chamonix.

La caméra Tikee contemple un panorama à couper le souffle. 

 

Les 220° de champ de vision de la caméra Tikee nous font profiter (de gauche à droite) de l’Aiguille du Midi, des trois Monts (Mont Blanc du Tacul, Mont Maudit, Mont Blanc) et en contrebas à droite, du refuge des Grands Mulets. Ludovic le gardien du refuge accueille de mi-Mars à Fin Juillet les alpinistes venus découvrir ce site majestueux. 

 

Combe Maudite

Saurez-vous retrouver les 2 alpinistes sur cette photo, ce qui donne une idée de l’échelle titanesque de ces lieux ? ;) - De gauche à droite : Aiguille du Midi, Mont Blanc du Tacul, Mont Maudit, Mont Blanc

 

 

1 an de time lapse riche d’informations

La caméra a pris pendant 1 an des photos afin de visualiser l’écoulement du glacier au fil des saisons...

Observez sur la vidéo time lapse les coulées de glace verticales, qui viennent, sous l'effet de leur poids, alimenter, depuis les hautes altitudes froides où elles se fabriquent, la combe maudite. Ce sont des « glaciers froids » situés au-dessus de 4000m dans les Alpes, à température négative à leur base, qui adhèrent au rocher (-15°C au sommet du Mon Blanc). Mais du fait du réchauffement climatique, certains glaciers froids proches du point de fusion vers 3700m peuvent devenir glissants et sont surveillés par les glaciologues. Si la base du glacier se réchauffe, ils deviennent "tempérés" à leur base, et peuvent être dangereux pour les populations comme le glacier voisin de Taconnaz. 

Le mouvement du glacier : son poids et la pente !

Le glacier des Bossons est tempéré, et on voit bien sur les images qu'il glisse en bloc, mais il se déforme sur ses bords où la friction sur la roche ralentit le glacier. La glace visco plastique se déforme mais se fracture aussi et des crevasses s’ouvrent au fur et à mesure de l’écoulement. Sa déformation existe surtout sur ses rives et en profondeur, ou dans les ruptures de pente. 

La vitesse d’écoulement résulte donc de la masse du glacier qui le fait glisser dans la pente et de sa déformation.

Le mouvement du glacier creuse les vallées des montagnes !

On peut observer en bordure du glacier l’érosion glaciaire : le mélange de roches et de glace qui s'écoule vient user la roche. Cette érosion a formé au cours du temps et des grandes glaciations une arête sur laquelle se trouve aujourd'hui le refuge des Grands Mulets. Ce sont des schistes cristallins (ou gneiss), alors que la rive droite du glacier est en granite. La combe maudite cache la limite entre ces deux roches qui remonte jusqu’au sommet du Mont Blanc que l'on voit au fond et loin au-dessus de la combe...

Le concept du timelapse est particulièrement adapté en glaciologie. Il met en lumière l'écoulement des glaciers sous l'effet de leur poids, mouvement invisible à l'oeil nu mais révélé par ces images, variations de longueur, d'état de surface, de fonte de la neige. Les caméras enregistrent pour nous ce que l'on manque de voir entre deux visites !

L’anecdote historique

Au-dessus de l'arête du refuge, on peut voir le Rocher culminant de "l’heureux retour" en forme de pyramide. Le 08 et 09 août 1786 lors de la première ascension du Mont Blanc, Jacques Balmat et Michel Paccard bivouaquèrent après leur ascension légendaire au pied de ce fameux rocher qui fut ainsi baptisé. Cette arête et ce rocher forment un "Nunataq", mot inuit signifiant rocher au milieu de la glace.

Les effets du réchauffement climatique

On accède au refuge en passant à droite de l’arête (à droite du refuge sur la photo). Le refuge ferme dès mi juillet en plein milieu de saison car la fréquentation diminue cruellement, le chemin d’accès devenant trop crevassé. C'est plutôt l'itinéraire d'hiver et de printemps pour la redescente du Mont Blanc en ski !

La fonte de nos glaciers est rapide, très rapide, et on ne le pensait pas en 1980 quand ils grandissaient!! Pourtant, ils perdent aujourd'hui l'équivalent d'un à deux mètres de glace sur toute leur surface chaque année, c'est dire si ils ne vont pas résister bien longtemps.

Des observations vitales

L’observation des glaciers par ces images de longue durée aide à mieux comprendre l'écoulement de la masse et ses variations dans le temps. Mais bien sûr les mesures annuelles in situ sont indispensables pour appréhender ces variations et les risques glaciaires pour la sécurité des populations et des infrastructures de haute montagne dans ce contexte de changement climatique. L'isotherme zéro degré remontant, les glaciers froids se réchauffent et deviennent des glaciers tempérés, les glaciers suspendus se décrochent plus facilement, les glaciers tempérés diminuent très vite et leurs moraines ou dépôts glaciaires, s'éboulent. Ces changements sont responsables de chutes de glace, de pierres de plus en plus fréquentes et importantes suite à la fonte de la glace dans les fractures des parois rocheuses de haute montagne, ce fameux "permafrost", qui se dégrade.

Ces time lapses sont une aide à la compréhension, à la visualisation et la mémoire des modifications rapides qui se déroulent devant nos yeux, à l'anticipation et la simulation de ce qui nous attend...

Mais n'oublions pas l'esthétique de ces milieux fragiles et en mouvement qui nous subjuguent depuis la nuit des temps, et tentons d'éviter coute que coute leur disparition car ils sont la source de ce vital cycle de l'eau qui nous fait vivre chaque jour !

Ne parcourez jamais les glaciers seul ou mal équipé, soyez toujours encordé long, et ayez un minimum de notions de sécurité (voir le site de l'association La Chamoniarde).

Merci encore à Luc pour ces images esthétiques, scientifiques et pédagogiques !