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Le timelapse vu par un glaciologue, interview de Luc Moreau
Aujourd’hui est le Jour de la Terre ! C’est la journée mondiale dédiée à la sensibilisation à l’environnement, nous vous en avons parlé toute la semaine sur le site comme sur Facebook. Après un premier article paru ce mercredi, nous vous avons réservé une interview !
En effet, nous avons interviewé Luc Moreau pour en savoir plus sur les glaciers. Luc Moreau est un glaciologue indépendant rattaché au laboratoire EDYTEM (Environnements, Dynamiques et Territoires de la Montagne) du CNRS de Chambéry qui travaille depuis dix ans avec des appareils photos automatiques et réalise des timelapses pour étudier des glaciers dans les Alpes, au Groenland, au Népal et en Patagonie.
– En quoi consiste le métier de glaciologue ?
Luc Moreau : Le métier de glaciologue consiste en la mesure et l’observation des glaciers. Il y a plusieurs objectifs : je suis spécialisé dans la mesure des glaciers et dans l’eau qui circule en dessous. Cette eau peut être captée par des sociétés hydroélectriques, je travaille d’ailleurs avec certaines. On regarde comment le glacier et son mouvement réagissent aux variations du climat. Il y a d’autres spécialités, comme celles de la plupart des glaciologues du Laboratoire de Glaciologie de Grenoble qui travaillent surtout sur les carottages profonds.
– Pourquoi s’intéresser aux mouvements des glaciers ?
Luc Moreau : De manière générale, étudier les glaciers c’est étudier un élément naturel très important du cycle de l’eau et vital à notre planète, pour ses atouts mais également pour ses dangers pour les populations parfois. C’est aussi intéressant car ils archivent la composition de l’atmosphère et la qualité de l’air qui est emprisonnée dans des bulles… mais ce sont plutôt les glaciologues chimistes qui travaillent là-dessus.
Le mouvement d’un glacier est lié aux températures : on constate qu’au Groenland les glaciers s’accélèrent car la mer se réchauffe. Par exemple, le sommet du Mont Blanc est très froid, à -15° donc il ne bouge que de deux mètres par an, par déformation. Mais en dessous de 4 000 mètres d’altitude, les glaciers commencent à fondre, il y a de l’eau dans la neige (elle est ramenée à la fin de l’été à 0°, on parle de glacier tempéré). Le glacier glisse alors comme un ski, descend et peut atteindre des vitesses de 2 mètres par jour. Quand il arrive dans un lac ou dans la mer, comme au Groenland, le glacier va flotter et peut s’accélérer et se déplacer jusqu’à deux mètres par heure. C’est le glacier le plus rapide du monde, 50 mètres par jour ! J’avais déjà placé des appareils à photos automatiques pour l’étudier et depuis cinq ans nous étudions le glacier Eqi qui se trouve dans la baie de Quervain.
– Quels usages faites-vous des timelapses ?
Luc Moreau : On ne peut pas toujours être sur place pour observer les glaciers et les appareils à photos automatiques nous rendent bien service ! On peut voir comment le glacier évolue, comment il réagit toute l’année, à chaque saison, chaque mois, chaque jour. L’appareil photo devient un peu nos yeux. Pour le glacier Eqi, on a déjà des photos prises tous les 20 ans depuis 1912 et puis des timelapses depuis 2011 qui permettent de voir la vitesse du glacier (10 mètres par jour) mais aussi que le glacier diminue en longueur (comme tous les glaciers du monde, sauf quelques exceptions !). Et puis il y a des zones où on ne peut pas se rendre pour mesurer car elles sont trop crevassées, trop dangereuses et là, l’appareil photo automatique devient alors très utile et indispensable !
« L’appareil photo devient un peu nos yeux »
– Prendre des photos dans ces conditions climatiques parfois difficiles doit être contraignant.
Luc Moreau : En effet. Tout d’abord, on se doit d’avoir un cadrage fixe, les boîtiers doivent donc être solidement fixés au rocher. La neige et le givre qui se fixent sur l’objectif peuvent être une contrainte. Et les variations de températures aussi, qui ont une incidence sur les piles de l’appareil. Au Groenland, les boîtiers ont été fabriqués par l’équipe du laboratoire Femto-St de Besançon avec des Leica. Il y a un panneau solaire qui va alimenter les piles de l’appareil photo. Ce sont des appareils qui ont été mis au point en 2007, il n’en existait pas encore dans le commerce. Ce sont des prototypes qui marchent bien : au Groenland, des boîtiers arrivent à durer un an à -20° en prenant une photo par jour ! Il arrive bien sûr qu’il y ait aussi des petits bugs techniques, ça arrive ce sont des proto.
– Comment exploitez-vous ensuite ces photos ?
Luc Moreau : Quand on étudie un glacier, on le mesure et on place des repères. On utilise des photos aériennes et satellites, on place des balises et on fait un bilan de santé du glacier. Quand on a la distance entre l’appareil et certains repères visibles et localisés précisément sur le glacier, on peut alors faire des calculs. En montant les images en timelapse, on peut en plus voir la dynamique des mouvements des glaciers ! Et on peut même calculer sa vitesse par les pixels des images. C’est super car on n’a pas forcément l’impression que les glaciers se déplacent si vite. Ils évoluent, vivent, et cela peut être très rapide !
– Qu’est-ce que vous ressentez quand vous retournez sur un glacier et voyez qu’il a complètement fondu ?
Luc Moreau : Complètement fondu, peut-être pas mais disons que le glacier peut avoir complètement changé d’aspect ou de morphologie. Sur des petits glaciers, c’est vrai qu’ils peuvent disparaître assez vite. Dans les Pyrénées par exemple,on sait que dans 30 ou 40 ans il n’y en aura plus. On se rend compte que les glaciers sont des monstres de glaces ultra sensibles, aux variations du climat par exemple. On n’en a pas forcément l’impression, mais quand on revient deux ou trois mois après on s’aperçoit qu’ils ont subi la fonte, se sont raccourcis ou déplacés très vite.
Dans la mer du Groenland par exemple, depuis que j’ai posé un appareil photo en 2011, le glacier Eqi a perdu plus de trois kilomètres ! J’ai même dû déplacer l’appareil photo car le glacier, s’étant trop raccourci, n’était plus dans le cadre !
C’est très spectaculaire, encore plus lorsque l’on monte les images et que l’on voit le glacier bouger en timelapse ! Il y a plusieurs phénomènes que l’on ne peut voir que comme ça.
– Quel est le rôle des glaciers dans le réchauffement climatique aujourd’hui ?
Luc Moreau : Les glaciers rendent visible le changement climatique. On parle souvent de choses invisibles : températures, bilan énergétique, fonte et gaz à effet de serre. Ce sont des choses infimes, invisibles mais permanentes et continues. C’est pour cela qu’il est difficile pour certains d’y croire ! Le glacier va subir tout ça et rendre visible l’invisible.
– Pensez-vous que le timelapse a contribué à alerter l’opinion publique sur l’urgence climatique ?
Luc Moreau : Oui bien sûr ! Quand on voit des éléments naturels qui réagissent très vite au climat comme les glaciers et qu’on réalise un film sur plusieurs années (je fais plutôt des timelapse de longues durées) c’est très parlant. On n’a pas besoin d’expliquer, on voit tout de suite, en accéléré l’évolution invisible autrement ! Mais ce n’est pas si simple tout de même. Ce n’est pas parce qu’on voit un glacier diminuer que tout de suite il y a réchauffement climatique! Il se trouve que depuis 25 ans les étés sont chauds. Les glaciers diminuent donc suite à une perte plus forte que le gain par la neige.
Ils n’ont toutefois pas toujours diminué uniquement à cause des températures ! Mais aussi parce qu’il y a un manque de neige. C’est ce qui s’est passé dans les années 1940 et 1950. Et puis dans les années 70, les glaciers ont augmenté d’épaisseur suite à des chutes de neige plus importantes et des étés frais. C’est pour cela que l’on préfère parler de changement climatique plutôt que de réchauffement car cela concerne aussi les précipitations. Il vaut mieux avoir des hivers chauds à 0° avec de la neige que des hivers froids et sec.
Nous remercions Luc Moreau pour nous avoir accordé du temps pour réaliser cet article et regrettons de ne pas pouvoir retranscrire tout notre échange ! Si cet article vous a plu, n’hésitez pas à le commenter et à consulter le site de Luc Moreau.